Lorsqu’en mars 2018 Kleber Silva visite la mine de Moanda pour la première fois, il s’étonne de voir du minerai résiduel sur des chantiers. « Trop rocheux pour être traité dans les installations actuelles », lui explique-t-on. « No stone shall be unturned » répond-t-il (« Rien ne doit être négligé »). Soucieux de ne pas gaspiller la ressource, le nouveau patron de la Division Mines et Métaux propose de valoriser par le criblage à sec cette partie du gisement. Le projet vient à point dans le cadre de l’augmentation des volumes de production de minerai de manganèse : de trois à quatre millions de tonnes par an à l’époque, en route pour six à fin 2020 et sept à court terme. Il doit aussi permettre de décongestionner la laverie qui tourne à près de 100 % de ses capacités. « Valoriser le minerai induré était une nécessité », confirme Raphaël Pacta, géologue.
« No stone shall be unturned »
A Comilog, les records de production ne durent jamais longtemps. Merci aux équipes de Christophe Minguy, directeur de la mine, et à l’amélioration continue des techniques industrielles. La voie sèche en est une. Jusqu’en 2018, le minerai le plus dur de Moanda était délaissé, en raison de ses caractéristiques physiques : un faciès trop induré par le contact de l’eau au cours de plus de deux milliards d’années d’évolution géologique propre à ce gisement situé sur les plateaux du Haut-Ogooué. L’exploitation se concentrait essentiellement sur les très abondants minerais classiques, plutôt argileux. Un minerai de haute teneur certes, de l’ordre de 30 %, mais qu’il convient de concentrer en éliminant les argiles et les matières non minéralisées par une phase de transformation minéralurgique sophistiquée réalisée à la laverie de Moanda (par débourbage et tri granulométrique par criblage). A la sortie, la teneur en manganèse atteint 46 %, parfois plus… Une étape qui permet d’augmenter la valeur marchande du manganèse contenu de 40 %.
Une équipe jeune et un vieux crible
Nouvellement nommé directeur de l’excellence opérationnelle de la Division Mine et Métaux, Alexandre Pires Guedes se voit confier le projet. Il s’inspire de son expérience du « direct shipping ore » acquise dans une mine de fer au Liberia et rassemble une équipe redoutable : Michel Cormary à la DAI, des opérationnels de Moanda dont Thibaut Martin, alors responsable Exploitation et Maintenance Engins, qui vient de lancer l’exploitation des bordures, Flore Mouele, qui met à disposition une aire du parc d’homogénéisation (prehomo) pour y réaliser le concassage du minerai, Jeff Madouma, futur responsable de la voie sèche, et Firmin Lassanana à la Maintenance industrielle.
Le CMM met à disposition un crible qui n’était plus utilisé, du matériel qui permet en deux mois de lancer un test capable de démontrer la faisabilité de la voie sèche. Remis en état, le vieux crible vibre, râle, crisse mais il fait le job. La production atteint 50 000 tonnes en quelques mois. Puis 500 000 tonnes en 2019.
La phase industrielle est lancée
La voie sèche confirme rapidement les espoirs placés en elle. Décision est prise de passer à l’échelle industrielle. Roberto Rodriguez, le chef du département Géologie et Exploitation Minière est à la manœuvre avec Brice Mabicka, aujourd’hui sur la mine de Kouaoua, en Nouvelle-Calédonie, Latyr Guéyé, responsable de l’excellence opérationnelle et le reste de l’équipe. Il faut du gros matériel : des concasseurs et des cribles mobiles sont aussitôt commandés en Irlande, tandis que la formation des équipes est lancée en parallèle.
La rapidité est requise afin de répondre à l’ambition de Comilog de devenir le numéro un mondial de la production de manganèse. Un Antonov 124-100, le deuxième plus gros avion-cargo au monde avec son emport de 100 tonnes, se pose le 14 décembre 2018 à l’aéroport de Mvengué, situé à 30 kilomètres de Moanda, avec à son bord deux cribles mobiles Sandvik de 32 tonnes chacun et longs de 18 mètres. Un porte-à-faux considérable. « Nous avons fait face à plusieurs défis : il a fallu faire une succession de translation au matériel sur des rampes plates, des remorques hydrauliques, construire une butte de déchargement en bout de l’aéroport », se souvient Chris Grigentin, notre partenaire de Bolloré Logistics. Des tapis immenses sont posés sur le tarmac pour que le char à chenilles réquisitionné afin d’assurer le transport des cribles n’abîme pas la piste… Il roule à 4 km/h. Roger Endamne et Ulrich Nkazengani Ongonwou à la manœuvre aux Achats en sourient encore et remercient les autorités gabonaises d’avoir permis à l’Antonov de se poser à l’aéroport de Franceville. Un événement que n’a pas raté le gouverneur du Haut-Ogooué en personne, en présence de Léod-Paul Batolo, patron de Comilog, soutien de la première heure du projet. Un peu plus tard, l’A124-100 effectuera deux autres rotations depuis l’Angleterre pour déposer un par un les concasseurs de 53 et 46 tonnes chacun, des équipements plus volumineux et beaucoup plus lourds que les cribles. Deux de plus arrivent au Gabon par la voie maritime en 2019, avant de rejoindre Moanda à bord d’un train de la Setrag. Un long voyage de plus de 606 km qu’un troisième crible a aussi effectué fin juin.
Plus de 30 % de la production par la voie sèche
La voie sèche est entrée dans la stratégie de production de Comilog avec un objectif pour 2020 de 1,3 million de tonnes de production, en complément des 3,8 millions de tonnes de la voie humide. Jeff Madouma, ingénieur voie sèche, exulte : « On valorise une partie de la ressource délaissée jusque-là en produit commercial, sans avoir besoin de le laver ! ». Fort de cette expérience, il a été décidé cependant d’ajouter des laveries modulaires pour compléter le dispositif afin d’aller encore plus loin en valorisant tout le manganèse contenu dans les indurés.
Sur les chantiers, le minerai induré, renommé MVS pour Minerai Voie Sèche, est parfois si dur qu’il faut faire appel au brise-roche hydraulique pour faire sauter dalles et massifs. « No stone shall be unturned » rappelle constamment Kleber Silva. Les petits morceaux de « rocheux » sont transportés sur des dumpers de 100 tonnes vers l’une des deux lignes de concassage et de criblage d’où ils ressortent en trois tas, de trois calibres. Côté caractéristique, le nouveau produit est suffisamment proche du MMD pour être mélangé avec ce dernier. Des pelles chargent ce produit commercial sur une flotte de camions qui se rendent soit au convoyeur de la laverie, soit empruntent une piste de 7 kilomètres jusqu’à une zone de stockage proche de la gare de Moanda. Elle a été construite dès septembre 2019 afin d’anticiper les gros volumes de minerai à transporter. Ce roulage a généré la création de nombreux emplois, de conducteurs notamment car le modèle de fonctionnement choisi pour la voie sèche a fait une large place à l’externalisation de la prestation et au développement du tissu industriel local. Comilog garde le contrôle grâce à Jeff Madouma (qualité), Ephrem Dibangoye et Judicael Atchoungou (méthodes de maintenance). La maîtrise de la sécurité sur ce volet logistique est un enjeu fort.
Animaux sauvages et gestion des eaux
Vues d’un drone topographique, les deux lignes de concassage/criblage ressemblent à de gigantesques insectes dont la couleur rouge tranche avec celle du manganèse presque noir. Ils sont installés sur la frange du plateau de Bangombé, juste avant que le relief ne s’incurve sur ce qui est appelé les bordures. Une pente rejoint la route nationale et la ville de Moanda.
Exploitées depuis 2015 par la voie humide d’abord, les bordures du plateau de Bangombé contiennent de beaux massifs indurés, là aussi générés par l’eau qui y est abondante. La technique du criblage à sec y est adaptée. Sur ces zones, le challenge est avant tout environnemental et sociétal. Maryse Kanga Mouyendi, ingénieure environnementale des bordures, avant d’être nommée responsable HSE de la mine, en rappelle l’enjeu : « Nous nous sommes imposé trois limites : la préservation des talwegs, des forêts galerie et des cours d’eau ». Des lieux à forte biodiversité, où résident des animaux sauvages comme des antilopes, des pangolins, des porcs-épics, des buffles nains, des mandrills, des cercopithèques et… des panthères. La gestion des eaux, comme sur toutes les mines, est essentielle. Des ouvrages ont été installés pour y décanter les eaux de ruissellement, avant de les laisser reprendre leur cours. De même, des points de prélèvements permettent d’éviter de souiller l’eau.
Concertation avec les riverains des bordures
Les bordures font partie de la concession de Comilog. L’absence d’activité minière pendant longtemps a incité de nombreuses familles à s’y installer. Elles y ont construit une maison ou développé un « jardin de case ». Les hommes pêchent dans les cours d’eau, les femmes y trempent le manioc, la culture ancestrale. La proximité, et l’arrivée de l’activité minière sur le site, est un enjeu sociétal fort.
C’est là qu’intervient l’équipe RSE avec Steeve-Wilson en tête. Dès mars 2017, une première campagne d’informations a été faite auprès des riverains et des autorités sur l’exploitation du minerai des bordures, peu importe que ce soit par la voie humide ou sèche. Puis une enquête socio-économique et un inventaire des maisons et des parcelles agricoles ont été réalisés avec l’aide d’une société spécialisée, sous l’égide des autorités du pays, tout en s’appuyant sur les meilleurs standards de la Société Financière Internationale. Pour donner le temps aux comités de quartiers et au comité départemental de se constituer afin d’être l’interface entre les populations affectées par le projet et Comilog, l’exploitation des bordures a commencé sur une zone éloignée des habitations.
La « can do attitude »
A Comilog, la voie sèche a été ajoutée à la voie humide grâce à un investissement pragmatique. Les équipes ont su montrer agilité et rapidité, faisant preuve d’une « Can Do Attitude » qui au final a créé de la valeur pour toutes les parties prenantes de l’entreprise. L’ensemble du profil géologique valorisable l’est aujourd’hui, ce qui permet à Comilog de se fixer pour 2021 un objectif de production de 2,3 millions de tonnes par la voie sèche, soit 32 % de sa production totale.
Une approche similaire est d’ores et déjà lancée pour le plateau d’Okouma…